René Char
En trente-trois morceaux
L’homme qui emporte
l’évidence sur ses épaules
Moi qui n’aie jamais marché
mais nagé mais volé parmi vous,
Laisse-moi me convaincre de
l’éphémère qui enchantait hier ses yeux.
La paix du soir absorbe
chaque pierre y jette l’ancre de douleur
puis vient la nuit grosse de
batailles.
Il faut trembler pour
grandir
Sur la poésie
Le poète, conservateur des
infinis visages du vivant
Le poème est l’amour réalisé
du désir demeuré désir.
Etre poète, c’est avoir de
l’appétit pour un malaise dont la consommation
parmi les tourbillons de la
totalité des choses existantes et pressenties,
provoque, au moment de se
clore, la félicité.
A chaque effondrement des
preuves le poète répond par une salve d’avenir.
Au centre de la poésie, un
contradicteur t’attend
C’est ton souverain. Lutte
loyalement contre lui.
La seule signature en bas de
la vie blanche, c’est la poésie qui la dessine.
La poésie vit d’insomnie
perpétuelle
Feuillets d’Hypnos
Vous serez une part de la
saveur du fruit
Le poème est ascension
furieuse; la poésie le jeu des berges arides.
Tiens vis-à-vis des autres
ce que tu t’es promis à toi seul. Là est ton contrat.
Dans nos ténèbres, il y a
une place pour la Beauté.
Toute la place est pour la
Beauté.
A la santé du serpent
Ce qui vient au monde pour
ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience
Ne te courbe que pour aimer.
Si tu meurs, tu aimes encore
Si nous habitons un éclair,
il est le coeur de l’éternel.
A une sérénité crispée
Les actions du poète ne sont
que la conséquence des énigmes de la poésie;
Pleurer longtemps solitaire
mène à quelquechose;
Il faut intarissablement se
passionner, en dépit d’équivoques découragements
et si minimes que soient les
réparations.
J’aime l’homme incertain de
ses fins comme l’est, en avril, l’arbre fruitier.
J’ai cherché dans mon encre
ce qui ne pouvait être quêté :
la tache pure au-delà de
l’écriture souillée.
La bibliothèque est en feu
Tout en nous ne devrait être
qu’une fête joyeuse quand quelquechose que
nous n’avons pas prévu, que
nous n’éclairons pas, qui va parler à notre coeur,
par ses seuls moyens,
s’accomplit.
La terre qui reçoit la
graine est triste. La graine qui va tant risquer est heureuse.
La beauté fait son lit
sublime toute seule, étrangement bâtit sa renommée
parmi les hommes, à côté
d’eux mais à l’écart.
Enfin toute la vie, quand
j’arrache la douceur
de ta vérité amoureuse à ton
profond!
Restez près du nuage.
Veillez près de l’outil.
Toute semence est détestée.
Notre amitié est une écorce
libre. Elle ne se détache pas des prouesses du coeur.
Le seul maître qui nous soit
propice, c’est l’Eclair,
qui tantôt nous illumine et
tantôt nous pourfend.
Lorsque je rêve et que
j’avance, lorsque je retiens l’ineffable,
m’éveillant je suis à
genoux.
Fureur et mystère (afin qu’il n’y soit rien changé)
Notre désir retirait à la
mer sa robe chaude avant de nager sur ton coeur.
Beauté, je me porte à ta
rencontre dans la solitude du froid.
ta lampe est rose, le vent
brille. Le seuil du soir se creuse.
J’ai, captif, épousé le ralenti
du lierre à l’assaut de la pierre de l’éternité.